C'est parti pour le Bagne !

Une grosse voiture noire, dernier cri, vitres teintées, s'élança sur le terrain vague, soulevant quelques montagnes de poussière au passage, et s'arrêta brusquement, dans un crissement de pneus, au beau milieu de l'endroit désert. Une porte s'ouvrit, puis une autre et encore une autre. De chacune d'elle sortit un homme en costard et aux traits asiatiques, si bien qu'on aurait pu se demander si Jackie Chan ne sortirait pas de la quatrième. Il n'en fut rien. Le plus jeune des trois hommes s'étira et secoua vigoureusement la tête, comme pour relancer l'afflux sanguin de ses neurones et se réveiller d'être resté enfermé dans une voiture pendant plusieurs heures.

"Wo xia ci kai che" lança-t-il à l'un des deux autres, et cela signifiait à peu près "Je conduirai, la prochaine fois."
"Bien" répondit le chauffeur en inclinant légèrement la tête.
"Vous êtes déjà en retard, Jeune Maître" informa le plus âgé, "vous devriez vous dépêcher".
"Je sais Tang, mais je veux profiter des ces dernières secondes de liberté avant de m'enfermer dans cette prison magique pendant des mois."
"Le Boss m'a demandé de vous rappelez de garder votre sang froid, de ne pas trop vous faire remarquer, de ne pas mentionner l'Organisation, et surtout de trouver un minimum d'intérêt pour les études."
"Le Boss lui a bien répété une bonne centaine de fois" s'exclama un gamin ne semblant pas même avoir quinze ans, aux cheveux décolorés, qui venait de sortir par la dernière porte de la voiture, mais qui n'était ni Jackie Chan ni son fils. "Mais de toute façon, ça ne changera rien, le Maître est un dragon impossible à tenir en place !"

Le Maître en question lança au garçon un regard qui semblait vouloir dire "de quel droit portes-tu un jugement sur mon père et moi ?", et le blondinet baissa la tête en murmurant des excuses.

"Je crois qu'il est temps d'y aller..."
"Au revoir Jeune Maître, prenez soin de vous."
"Merci, vous aussi" répondit solennellement le jeune homme.
"Vous allez me manquer, Maître Sang" lança le marmot d'un air sincère, et son supérieur lui ébouriffa gentiment les cheveux.
"On se reverra, Li, bientôt."

Les trois subordonnés remontèrent dans la voiture, laissant Hao Lei avec son sac. Le jeune homme s'avança à contre coeur sur le terrain vague, tout en observant dans son fort intérieur qu'on aurait pu choisir plus luxueux comme entrée pour une école si prestigieuse. Il tourna la tête à droite, puis à gauche, cherchant du regard ce qui avait pour nom "porte-très-loin" ou quelque chose d'approchant. En Chine, il avait connu les Arbrelais, aux Etats-Unis, les Transportators, mais il n'avait aucune idée de ce qu'était un porte-très-loin. Il chercha bien, cependant, à droite comme à gauche, il ne vit rien d'autre que de la terre. Et devant, comme derrière, il ne vit rien d'autre que de la poussière. A quoi pouvait bien ressembler un porte-très-loin ?

Eh, une petite minute... de la poussière à droite comme à gauche, devant comme derrière ? Et la voiture ? Elle était là, cinq secondes plus tôt, et avait disparu sans un bruit ? ... La lettre d'admission avertissait que les véhicules étaient transférés au garage de l'établissement... Mais il n'aurait quand même pas fait ça pour une voiture avec des gens à l'intérieur ? Et où était ces foutus porte-très-loin ? Ce n'était quand même pas parce qu'il était arrivé quelques minutes en retard qu'il ne pouvait pas prendre un porte-très-loin !"N'est-ce pas ?"

Hao Lei fulminait après l'organisation "foireuse" de l'université, ne songeant pas une seconde que son retard même minime pouvait en être la cause, lorsqu'un homme qu'il identifia d'abord comme un clochard déboula, à bout de souffle et de nulle part, en l'appelant. Hao Lei comprit à ses paroles qu'il devait venir de l'école pour le chercher, il rugit :

"C'est quoi ce foutoire ? Qu'est ce que c'est que ces porte-très-loin qui partent sans moi ? Et où vous avez embarqué ma voiture ?"

En réalité, malgré son ton furieux, sa tirade aurait pu être plus impressionnante, car l'accent chinois à couper au couteau avec lequel il s'exprimait le rendait presque risible. Il parlait très bien anglais, mais le français n'était pas une des premières langues qu'il avait apprises.

L'homme ne répondit d'abord pas, trop occupé qu'il était à reprendre haleine, ce qui eu pour effet d'excéder l'asiatique. Mais une voix familière retentit dans sa tête "ne pas se faire remarquer, garder son sang froid... ne pas se faire remarquer, garder son sang froid...". Il estima que pour "ne pas se faire remarquer", c'était raté, mais il devait au moins garder le contrôle de ses actes. Il ferma les yeux, souffla comme pour évacuer son courroux, et finit par dire dans un semblant de calme à l'homme qui reprenait un peu contenance (à moins qu'il ne se parlât à lui-même pour se persuader) :

"Ok, je suis calme, je suis calme, je vous suis jusqu'à l'école".

Il suivit donc celui qui se présenta comme Max derrière un rocher, puis dans un couloir obscur. Ils arrivèrent au bout d'un moment dans ce qui devait être une pièce de l'université, où une grande et belle femme au cheveux sombres semblait avoir stupéfixé ses hommes de mains. Il aurait voulu laisser éclater sa colère, mais il se retint à nouveau, cette fois-là néanmoins, ce ne fût pas à cause de la réminiscence de la voix de son père. Non, c'était plutôt cette femme qui l'impressionnait. Elle dégageait quelque chose d'indéfinissable, une certaine énergie qui forçait le respect. Le Chinois s'inclina comme il était de coutume dans son pays pour s'excuser.

"Je suis Sang Hao Lei, je suis désolé, je ne sais pas ce qu'est un porte-très-loin, mais le mien semble être parti sans moi... Je ne sais pas non plus comment ces hommes ont pu arriver ici, mais ils n'étaient venu que pour m'accompagner, ils allaient repartir quand ils ont dû être envoyés dans le garage. Ils sont moldus et ne parlent pas français, j'espère qu'ils ne vous ont pas causé trop d'ennuis."

Le jeune homme ne se redressa que lorsque la directrice lui eu répondu. Il espérait aussi que ses hommes n'avaient pas reçu trop de sortilèges, mais pour limiter les dégâts, il s'abstint de commentaire là-dessus. Il se rendit compte après avoir formulé ces paroles qu'elles n'étaient peut-être pas adéquates pour être prononcées par un étudiant à l'égard de sa directrice, mais il espéra malgré tout que ses hommes partiraient sans problème et que l'incident serait bientôt clos. "Ne pas se faire remarquer"... ça commençait vraiment mal !